DEUX CLOCHES, UN GONG ET UNE SACRÉE PAIRE DE CORNES…

Chapitres
Round 1 Round 2 Round 2 Round 4 Round 4 Round 7
Round 10 Round 10 Round 11 Round 11 Round 12 Round 12

Jack Thomson déambule sur le ring, sa chemise blanche rayonnant sous le feu des projecteurs. Ce soir est SON soir, celui pour lequel son nom restera gravé dans l’histoire comme celui de l’homme ayant arbitré le plus grand combat de boxe de tous les temps.

Gonflé d’orgueil, il allume son micro et prend la parole.

– À MA GAUCHE, 1 mètre 80 pour 81 kilos, 54 combats, 52 victoires dont 46 par KO, j’ai nommé le champion du monde des poids mi-lourds, Ramon Lopez alias… EL COBRA VERDE !

La foule se lève, hystérique, et acclame le champion qui retire son peignoir et lève les bras en signe de victoire. Les tribunes s’embrasent alors que crépitent les flashs des appareils photos. Jack lève un bras, attendant que le silence revienne pour se tourner dans l’autre direction.

– À MA DROITE, 1 mètre 92 pour 95 kilos, 65 combats, 64 victoires dont 59 par KO, j’ai nommé le champion du monde des poids lourds, Scott « LE DIABLE » Lewis !

Le public s’enflamme pour sa seconde ovation, les hurlements répondant aux sifflets des admirateurs en furie. Le sol du Madison Square Garden tremble sous le piétinement frénétique des vingt-trois mille spectateurs. Lewis retire son peignoir d’un geste souple, et esquisse quelques pas en boxant dans le vide, pour le plus pur plaisir de ses fans. Les deux boxeurs rejoignent Thomson au centre du ring, et se dévisagent pendant qu’il leur débite les usuelles recommandations qu’ils connaissent l’un et l’autre par cœur depuis des années.

Lorsque retentit enfin la sonnerie marquant le début du combat, l’arbitre a disparu. Il n’y a plus sur le ring que les deux boxeurs, se dévisageant comme des fauves en cage.


 Round 2

Le Cobra tourne autour de son adversaire, il le jauge sans le perdre des yeux, tâchant de deviner son prochain mouvement, sa prochaine attaque.
Cette technique lui a bien réussi dans le premier round : il a laissé le Diable se fatiguer, esquivant ses frappes sans répondre, se contentant de placer ici ou là un jab rapide et de battre en retraite. Il sent que cette attitude l’énerve, Le Diable n’est pas patient. Il aime aller au contact, montrer sa puissance. Il aime que les choses aillent vite, que le sang gicle et que les coups déferlent sur la tête de son adversaire.

Il ne lui fera pas ce plaisir.

Esquivant une droite furieuse, il repart dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, l’obligeant à changer de jambe. La tension est palpable, Lopez sent l’impatience des spectateurs qui commencent à le huer.

Gauche
Gauche

Le Diable n’a rien vu venir, et s’ébroue d’un geste rageur. Il riposte d’un une-deux qui rate sa cible, et se remet en garde. Le Cobra esquisse un sourire et inverse à nouveau son sens de rotation, continuant son travail de sape.

Gauche
Gauche
Retrait
Droite

La foule s’enflamme devant cet enchaînement, alors que le Cobra recule de nouveau en esquivant la riposte de Lewis. Les coups de son adversaire sont lents, mais dangereux. Lopez en a conscience et évite de s’exposer, privilégiant l’esquive à la parade. Sautillant en arrière, il reste perpétuellement en mouvement et oblige le Diable à le coller. Il le voit écumer et réprimer sa puissance, s’obligeant à ne pas foncer aveuglément dans les bras de son adversaire. Mais le Cobra est patient, et il sait en jouer.

Droite
Gauche
Gauche
Retrait

Ses coups sont rapides, juste assez puissants pour garder Lewis en alerte et l’obliger à se protéger. Ce dernier fulmine, il avance, frappe, rate et frappe encore. En vain.
Ramon recule rapidement et se permet même de baisser sa garde une seconde, le temps de se dénouer les muscles. De nouveau en position, il laisse le Diable fondre sur lui, et esquive rapidement une nouvelle série de directs.
Lewis s’énerve : il ne tiendra plus longtemps. Lopez sent que l’erreur est proche et affirme sa garde, prêt à tout.
Une droite part, et le frôle à la tempe, le Cobra a juste le temps de rejeter la tête en arrière, esquivant un uppercut dévastateur. Il prend un risque mais ne recule pas : le Diable veut toucher avant la fin du round, et il va tout faire pour.
Deux autres coups viennent s’écraser sur la garde de Lopez, leur puissance résonnant au travers de ses os. Il fait un pas de côté et revient à l’assaut.

Droite

À peine une pichenette, mais il a touché le menton et le Diable est à bout de nerf. La riposte ne se fait pas attendre, un déluge de coups lui tombe dessus. Lopez est terré derrière sa garde, il encaisse, esquive et encaisse encore. Se dégageant sur le côté, il laisse un trou dans sa garde, au niveau des côtes. Le Diable le voit.

Et c’est la faute.

La droite du Cobra part, sèche, cassante, en direction de l’œil du Diable qu’elle atteint de plein fouet, dans un bruit spongieux d’os brisés.


Round 2

Le Diable ne sait plus où il est. Une douleur atroce lui barre le visage, accompagnée de la familière sensation du sang chaud sur sa peau.
Il revoit le poing du Cobra foncer sur lui, l’impact, terrible, et plus rien.
Il est au sol, sur le ring, gisant dans son sang. Son arcade a explosé sous le choc, le précipitant par terre.

Puis il voit l’arbitre.

Il compte.

Le Diable ne sait pas à combien il en est, et ne veut pas le savoir, il est juste impossible qu’il perde par KO au deuxième round. S’appuyant sur un genou, il se redresse, de toute sa hauteur.

L’arbitre a l’air aussi surpris que son adversaire de le voir se relever, mais il arrête de compter. Lopez le regarde stupéfait, et se tourne vers Thompson qui semble hésiter à faire reprendre le combat.

Cet enculé a dû bien m’amocher.

Pour montrer qu’il est en mesure de continuer, le Diable se remet en garde. L’arbitre lui lance un dernier regard incertain, puis relance le round.
Lewis tourne autour du petit mexicain, qui a repris son putain de sautillement.

Continue, mon pote, quand j’vais t’coincer dans les cordes, tu vas danser, j’te le promets.

Gêné, il change de pied d’appel et comprend soudain ce qui l’indisposait : son œil gauche ne voit plus rien. Il secoue la tête, sans effet, surpris que l’hématome ait enflé si vite, lui fermant la paupière.
Le Cobra en profite pour lui balancer un coup, puis recule. Il ne cherche même pas à riposter.

Le gong sonne.

Le Diable retourne dans son coin, et s’assied sur son tabouret. Il n’écoute pas son coach qui l’engueule, il s’en veut déjà bien assez comme ça.
Il va le massacrer.
Saoulé par les réprimandes, il attrape le poignet du soigneur, occupé à lui nettoyer le visage.

– Ouvre-moi l’œil.

Le jeune homme le regarde surpris, puis se tourne vers l’entraîneur qui le rejoint sur le ring.

– Merde, Scott, ton œil est ouvert. Combien de doigts ?

Le Diable triche, s’aidant du droit pour répondre.
Quand sonne le début de la reprise suivante, il sait qu’il a perdu un œil. Et il sait qui va payer pour ça.


Round 4

Le Diable est en garde. Il a cessé de courir.
Il n’est pas fatigué, pas encore, mais il en a plein de cul de se battre contre une sauterelle.
Alors il attend. Et il voit bien que le Cobra n’aime pas ça : ça l’oblige à prendre des risques, à s’approcher pour frapper. Et en s’approchant, il se met en danger.
Le public s’énerve un peu, tout ça manque d’action, mais ils savent que c’est une stratégie de combat, alors ils patientent.
Lopez lui fait face, sautillant sans cesse, changeant de pied régulièrement. Il avance. Il frappe. Il recule.
Un enchaînement vient frapper le Diable au corps.

Il ne bouge pas.

Une autre frappe s’écrase sur sa garde, quelques secondes plus tard.

Il ne bouge pas.

Le Cobra recule, et se dégourdit les bras et les épaules avant de revenir en position.

Un coup.

Il ne bouge pas.

Un autre.

Il ne bouge pas.

Quelque part dans les tribunes, une femme le regarde et le Diable ne veut pas la décevoir. C’est pour elle qu’il est là ce soir, c’est pour elle qu’il a accepté de participer à ce combat, il tient absolument à lui offrir cette victoire. Ce sera son cadeau de mariage, il l’a décidé tout à l’heure, dans les vestiaires.

Le Cobra s’avance, et frappe à nouveau. Il recule, avance et tape encore. Il feint de rompre, et frappe une nouvelle fois.

Droite
Gauche
Droite

Touché de plein fouet, le Diable recule, titubant en arrière. Lopez ne se le fait pas dire deux fois et enchaîne, marchant droit sur lui.

Droite
Gauche
Gauche
Droite

Le public s’enflamme, scandant son nom en rythme avec les coups qu’il porte. Lewis reflue, dans les cordes. Le Cobra continue de le harceler, frappant sans relâche du droit pour le pousser dans le coin. Le Diable recule encore, se tenant les côtes douloureusement.
Les spectateurs se lèvent. Les flashs crépitent.
Lopez maintient la pression, sans faiblir.

Corps
Tête
Corps
Corps

Il trépigne, enchaînant les coups à une vitesse hallucinante. Lewis est recroquevillé dans le coin, il encaisse tant bien que mal cette déferlante, surpris que l’arbitre ne vienne pas les séparer.

Le Cobra cogne.

Il ne bouge pas.

Il cogne encore. Encore.

Il ne bouge toujours pas.

Lopez change de pied, il veut soulager son bras droit.
C’est l’erreur que le Diable attendait : sa droite s’envole, remontant des profondeurs du ring comme une locomotive lancée à toute vitesse. Elle cueille le Cobra sous le menton, à pleine puissance.
Lopez décolle, son protège-dents est éjecté dans une gerbe de salive et de sang. La gauche du Diable part, aveugle, et touche. Le visage du Cobra se déforme sous l’impact alors qu’il vole dans les cordes.

Le Diable bouge enfin. Il marque Lopez et frappe. De toutes ses forces.

Tête
Corps
Tête
Tête

Toute sa rage se libère, il croit s’entendre hurler comme un dément, et matraque son adversaire de plus belle.
Le Cobra lève sa garde, tente de reculer en se protégeant.
Le Diable avance toujours. Il cogne. Encore. Et encore. Et encore.
Un dernier coup à l’estomac plie le Cobra en deux, avant qu’il ne s’écroule lourdement sur le ring.
Le Diable recule finalement, hurlant son triomphe au public qui lui fait écho.


Round 4

Ramon Lopez est au sol.
La douleur lui vrille l’abdomen, creuse son ventre, et remonte le long de sa colonne vertébrale, se mêlant à celle qui lui serre la mâchoire.

… 4…

Le Cobra porte instinctivement la main à son visage, il a le menton en feu, et du sang plein la bouche.

… 5…

Il ne comprend pas ce qui s’est passé : il tenait Lewis, il le matraquait dans les cordes, c’est lui qui devrait être au sol.

… 6…

Son estomac se contracte, il a un violent haut-le-cœur et crache. Il croit distinguer une dent parmi les grumeaux sanglants qui tapissent le ring devant lui.

… 7…

S’aidant des cordes, il se redresse et se remet debout. L’arbitre lui jette un regard, et attend quelques secondes pour s’assurer qu’il ne va pas retomber. Mais le Cobra tient bon, et se remet en garde.
Le Diable fonce, lui faisant aussitôt regretter son impassibilité passée.
Tandis qu’il évite les coups, Lopez pense à sa fiancée, assise quelque part dans les gradins. Elle le regarde, probablement inquiète. Il veut remporter cette victoire, pour elle.
Raccrocher les gants.
Avoir des enfants.
Fonder une famille.
Il le lui a promis en acceptant ce combat.

Une droite puissante le rappelle à l’ordre, ébranlant sa garde en le projetant en arrière. Le Cobra fronce les sourcils et tente de faire taire la douleur qui l’empêche de trouver un moyen de vaincre le Diable.
Il va y parvenir.

Il le sait.


Round 7

Ramon esquive et cogne. Son coup résonne au travers des côtes de Lewis, qui recule devant la puissance de l’impact. Le Cobra voudrait en profiter, continuer son offensive et percer la garde du Diable pour le jeter par terre, mais il n’en a plus la force.
Il se contente de rester sur ses pieds, et d’attendre que son adversaire parte à la faute, pour profiter du moindre faux pas.

Le Diable avance, encaisse le jab du Cobra qui vient lui mordre le ventre, et balance sa droite de toutes ses forces. Lopez a le temps de se décaler : c’est son épaule qui reçoit le coup à la place de son visage. Lewis grimace de frustration, il est à bout de forces et à ce stade d’épuisement le moindre coup mal porté est un coup perdu.
Il reprend son offensive, appliquant chacune de ses frappes, essayant de ne pas en gâcher une seule. Le Cobra a le dessous, mais s’il s’effondre de fatigue ça lui fera une belle jambe.


Round 10

Le Diable se lève, la sonnerie annonçant la fin de la minute de repos. Sa lèvre est enflée, et son poignet lui fait un mal de chien. Il a présumé des forces de son adversaire, qui se révèle bien plus coriace qu’il ne l’avait escompté. Il n’est plus certain de sa propre endurance, il a de plus en plus de mal à récupérer entre chaque round, et son œil blessé l’handicape grandement. Il sait qu’il n’a pas le choix, il doit en finir rapidement s’il ne veut pas que le Cobra l’ait sur la longueur.

Décidé à passer la vitesse supérieure, il s’avance et frappe. Lopez bloque sa droite et contre, d’un crochet qui lui ébranle la tête.

Enfoiré de Chicanos ! Avec toutes ces saloperies de chilis que tu bouffes à longueur de journée, tu dois avoir le foie fragile…

Fort de sa stratégie, le Diable débute une nouvelle approche et, feintant un crochet du droit au visage, balance un violent uppercut du gauche, en plein dans le ventre du Cobra. Ce dernier plie sous la douleur et riposte, d’une droite qui n’atteindra jamais sa cible.

Droite
Droite
Gauche

Le Cobra esquive tant bien que mal, chaque coup qui passe le soulève de terre.

Gauche
Gauche
Gauche

Le Diable cogne dur, enchaînant les uppercuts au foie, arrachant des rictus de douleur à son adversaire qui ne parvient plus à reculer assez vite pour se protéger. Lewis est enragé, il donne tout ce qu’il a, décidé à abattre Lopez une bonne fois pour toutes. Avançant sans relâche, il poursuit son offensive et enchaîne les frappes.

Tête
Corps
Corps
Corps

Le Cobra est coincé dans les cordes, la fin est proche. Le Diable change de jambe et esquisse un sourire carnassier en s’avançant.


Round 10

Ramon est épuisé. Il a beau affirmer ses contres à chaque occasion, le Diable ne faiblit pas. Il pensait l’avoir à l’usure en le faisant courir, mais rien n’y fait. Il esquive, pare et contre, mais devant la déferlante de coups qui s’abattent sur lui il ne parvient pas à les bloquer tous. Le Diable a repris du poil de la bête et redouble d’agressivité, se concentrant sur son ventre. Le Cobra recule, harassé par l’intensité des attaques de Lewis. Il sent les cordes dans son dos, toute retraite devient impossible.

Le Diable change de pied. Un rictus sadique lui traverse le visage alors qu’il arme sa droite.

Alors le Cobra tente le tout pour le tout. Feintant un pas en avant il se jette en arrière, se balançant dans les cordes. Il se rappelle du grand Ali, et de son combat contre Foreman en 74. Lopez glisse le long des cordages, enfoncé de tout son poids à l’intérieur.
La droite du Diable passe au ras de sa tête, Ramon sent le souffle d’air lui fouetter le visage. Se redressant d’un bond, il est à côté du Diable et donne tout ce qui lui reste : sa gauche jaillit, vibrante comme un coup de fouet, et heurte le Diable en pleine tête, éclatant sa pommette dans une gerbe d’hémoglobine. Sa droite fuse aussitôt, cinglante, et pulvérise le nez de son adversaire, le mouchetant de postillons sanglants.
Le Cobra recule en titubant, trébuche, et s’effondre dans les cordes. Ses jambes flageolent, il a du mal à se remettre sur ses pieds. Quand il trouve la force de regarder autour de lui, le Diable est affalé sur le dos, le visage ruisselant de sang.

Lopez n’en revient pas : il a gagné. Se tournant vers le public, il cherche des yeux celle qu’il aime, perdue quelque part dans le public. Il ne la connaît que depuis quelques semaines mais sans elle, il sait qu’il n’aurait jamais pu réussir. Il a envie de l’appeler, de hurler son nom pour qu’elle vienne le rejoindre. Cette pensée lui rappelle la fin de Rocky et il trouve la force de sourire.

Une clameur s’élève de la foule, le figeant de stupeur. Il n’ose pas se retourner. Quand il se décide enfin à le faire, ce sont ses yeux qu’il n’ose pas croire.

Le Diable se relève.

Son visage n’est plus qu’une plaie boursouflée : il pisse le sang, son torse luisant de sueur se drape d’un voile écarlate.

Mais il se relève.

Pourquoi personne n’arrête ce massacre ? Cet enculé se relève, santa puta !


Round 11

Le Diable ne voit plus rien. Son œil encore valide est plein de sang, sa bouche est pleine de sang. Le ring est plein de sang. Mais il n’y a pas que le sien par terre, et cette pensée le rassure. Il est à bout, mais le Cobra aussi.
Ça fait trente secondes qu’ils se tournent autour, aucun des deux n’osant prendre le risque de gâcher son dernier zeste d’énergie.

Tout le côté droit de son visage est ankylosé, il a l’impression qu’un million de fourmis grouillent sous sa peau, le dévorant de l’intérieur. Il pense à sa bien-aimée, assise quelque part là-haut, dans les gradins. Il a envie de la prendre dans ses bras, de se sentir puissant. Il ne supporte pas l’idée de perdre. Surtout contre un mi-lourd. Même le meilleur au monde. Cette défaite ferait une vilaine tâche à son palmarès. Il est trop tard pour reculer, il n’a plus qu’une option : la victoire.

Rentrant la tête dans les épaules, le Diable se jette en avant, insensible aux coups que son adversaire lui porte pour tenter de le stopper. Il ferme son œil et cogne, continuant à se concentrer sur le foie du Cobra.

Droite
Gauche
Gauche
Droite
Gauche

Le Cobra en bloque certains mais il sait qu’un bon nombre de ses coups atteignent leur cible. Un autre contre passe : le Diable sent sa lèvre éclater, fendue de haut en bas. Mais il n’arrête pas : la douleur n’est plus qu’une information, noyée dans un torrent de données sanglantes.

Il cogne, encore et encore et encore.

Au bout d’un moment, il s’aperçoit qu’il tape dans le vide, seul dans les cordes. Il ouvre son œil et s’ébroue, tâchant de chasser le sang qui l’aveugle.


Round 11

Le Cobra ne bouge plus. Il n’a plus une once d’énergie. Il a l’impression qu’un souffle de vent suffirait à le coucher au sol.

Il danse avec le Diable, une valse mortelle et langoureuse, chacun tournant autour de l’autre dans l’attente de l’erreur qui lui sera fatale. Lopez se rappelle des corridas auxquelles il assistait à Puebla, et frémit en se demandant de quel côté des banderilles il se trouve. Comme s’il lisait dans ses pensées, le Diable rentre les épaules et charge.

L’assaut est furieux, impitoyable.

Le matador esquive d’une majestueuse veronica et porte ce qu’il espère être le coup de grâce. La lèvre du monstre éclate, mais rien n’y fait, il continue d’avancer. Ses coups portent, touchent, et font mal. Lopez est atteint au ventre, il encaisse et tente de reculer, mais il ne va plus assez vite. Deux autres impacts lui ravagent les tripes, il n’a même plus la force de contracter ses abdominaux. Un dernier coup lui détruit le flanc droit : la douleur irradie dans tout son corps, intolérable. Il s’effondre sur le côté, foudroyé, sans même s’apercevoir que le Diable continue de frapper dans le vide. Il n’entend pas les exclamations du public, pour lui il n’y a plus que les papillons blancs qui dansent devant ses yeux, l’invitant à fermer les paupières et à se laisser partir.

Mais le Cobra n’abandonne jamais. C’est sa détermination qui l’a mené des bidonvilles de Netzahualcóyotl au sommet de la gloire, ça n’est pas aujourd’hui qu’il va baisser les bras. Surtout pas devant ce hijo de puta de Diablo !

Le Cobra se relève en serrant les dents, la douleur est atroce mais il tient bon. À cet instant, il ne sait pas encore qu’une côte brisée lui a perforé le foie.


Round 12

Les deux boxeurs sont face à face. Il savent que c’est le dernier. Le Diable se demande d’où le Cobra tire ses forces. Il ne parvient pas à croire que son adversaire ait encore suffisamment d’énergie pour tenir sur ses jambes.
Il s’avance et frappe, décidé à en finir. Le Cobra ne pare même pas, il se contente de riposter d’un violent crochet.

Droite
Gauche
Tête
Droite
Corps
Gauche

Les frappes se succèdent, chaos désordonné, parodie d’un art qui n’a plus rien de noble. Les deux boxeurs encaissent et frappent, se détruisant l’un l’autre à tour de rôle et de bras.

Perdu sur une autoroute de douleur, le Cobra se demande pourquoi l’arbitre laisse une telle boucherie se dérouler. Pourquoi leurs entraîneurs respectifs ne viennent pas les séparer. Il ne trouve pas la réponse, alors il continue à frapper. Il finit par se demander si ce n’est pas vraiment le Diable qui se tient face à lui.


Round 12

Assis dans les tribunes, le Diable plisse sa jupe et esquisse un sourire gourmand. Il est content de lui : obéissant à un de ses caprices, deux hommes brillants, talentueux, et adulés par leur époque viennent de briser leur carrière et leur vie.

Il mordille son ongle vernis de rouge, se revoyant courtiser chacun de ces imbéciles pour le convaincre de participer à cette rencontre hors du commun. Une vague de chaleur envahit son entrejambe, sa petite culotte de soie carmin se marquant des stigmates de son désir. Il se lève et demande poliment à son voisin de le laisser passer. Descendant les escaliers, il se dirige vers le bas des gradins.

Il a toujours aimé se jouer des hommes, ils sont si naïfs, si primaires. Un miroitement de pouvoir, une étincelle de gloire, un zeste de sexe suffisent à leur faire accomplir n’importe quoi. Les femmes sont plus compliquées à manipuler, il préfère les garder pour les plaisirs de la chair. Le Diable a toujours préféré le corps des femmes, tellement sensuel, tellement plus sensible et vibrant que leurs homologues masculins. 

Tenaillé par son excitation, il pousse la porte du Madison Square Garden et disparaît dans la nuit, sans même se retourner pour voir qui a gagné.
Il connaît déjà la réponse : quel que soit le boxeur toujours debout, il est, ce soir encore, le seul vainqueur…

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