DU SABLE DANS LES BOTTES (Wingmen)

Ce texte prend place dans l’univers de mon roman en cours d’écriture, WINGMEN. Je l’ai écrit avant d’en commencer la rédaction, pour mettre en scène Mc Eily, le héros, et voir comment il serait perçu (ainsi que l’univers) par des lecteurs anonymes. Il s’agit donc d’un premier jet pas particulièrement soigné.

Bonne lecture !

Chapitres : I II

 

Le hoover faisait de drôles de bruits depuis quelques kilomètres, et mes tentatives pour en découvrir la provenance n’avaient jusque-là réussi qu’à manquer de nous foutre dans le décor. N’y tenant plus, je frappai Doyle qui dormait sur le siège passager.

– Putain, Mc Eily ! Qu’est-ce qui te prends ?!
– La ferme et écoute, grinçai-je.

Il se frotta les yeux, faisant de visibles efforts pour conserver son calme, avant de râler au bout de quelques secondes de silence.

– Tu me réveilles pour me faire écouter le sifflement du vent ? Merde, Mc Eily, t’as dû te chopper un grain à force de bouffer du sable !

Evidemment, le bruit s’était arrêté : le comique de la chose en aurait été cruellement amoindri.

– Il y avait un bruit dans le moteur, Doyle. Une sorte de cliquetis métallique, du genre intermittent.
– C’est dans ta tête qu’il y a un bruit, Mc Eily.

Rallongeant ses jambes sous le tableau de bord, Doyle s’enfonça dans son siège et fit glisser sa casquette sur son visage avant d’ajouter, entre ses dents :

– Et il est tout sauf intermittent.

C’était de bonne guerre, nous n’arrêtions pas de nous lancer des piques. J’avais d’ailleurs la main la majeure partie du temps, il aurait donc été malvenu de ma part d’en vouloir à Doyle de ne pas me rater quand il en avait l’occasion.
Le bruit réapparut quelques instants plus tard, alors que le hoover glissait silencieusement sur la piste sableuse de Dantoïne. Je tentai à nouveau d’en localiser l’origine, et finis par abandonner : nous n’avions plus que quelques centaines de kilomètres à faire, et il n’y avait pas de raison qu’il ne tienne pas jusque-là. Je devais avoir raison, car au bout de quelques minutes il disparut de nouveau. Je décidai de ne plus y prêter attention, et me concentrai sur le paysage morne qui défilait sous mes yeux. Nous avions fait nos classes sur Dantoïne, près de quinze ans plus tôt. C’est là que Doyle et moi avions fait nos preuves, et étions devenus pilotes de la Confédération. La guerre avait depuis atteint ce système, et nous étions désormais en territoire occupé. Je me souvenais de Dantoïne comme d’un monde mort, dont le seul intérêt était la beauté stupéfiante de ses tempêtes de sable. Lorsque la planète se mettait en colère, elle se déchirait les entrailles pour cracher sa fureur à la face du monde : ses falaises vomissaient des flots de sable écarlate, chassés par les vents furieux qui balayaient les interminables plateaux de dunes, révélant la roche sous le sable comme un couteau raclant la chair sur les os…
Un natif de Dantoïne m’avait révélé, des années plus tard, que je n’étais qu’un gros con de soldat colonialiste et que je n’avais rien compris à la beauté de son monde. Le sol regorgeait d’une vie riche et variée, et ses peuples nomades avaient au fil des siècles développé des trésors d’ingéniosité pour survivre à son climat extrême.
Toute leur culture, basée sur une tradition orale, transcendait l’éphémère beauté des choses et déclinait leur mode de vie en infinies variations artistiques.
Je n’avais pas tout compris à son baratin, mais il avait toutefois réussi à me convaincre qu’il y avait autre chose à voir sur Dantoïne que du vent et du sable.
Le choc me tira de ma rêverie, aussi brutal qu’inattendu. Le hoover venait de chuter lourdement sur le côté droit, le châssis heurtant violemment la piste de sable durcie. Doyle émergea brusquement de sa rêverie, se raccrochant instinctivement au tableau de bord.

– Que se passe-t-il ?!

Les mains crispées sur le manche, je tentai de redresser le hoover qui déviait inexorablement sur la droite, son aile tordue soulevant de gigantesques volutes de sable derrière nous.

– J’en sais rien ! La répulsion magnétique déconne !

Je coupai le moteur, tentant de redresser le cap en braquant les volets sur la gauche, sans succès. Nous quittâmes la piste dans un affreux raclement de terre séchée et de métal tordu, le hoover achevant abruptement sa course dans une dune.

– Rien de cassé ?
– Je te répondrai quand j’y verrai quelque chose…

Les yeux brûlés par le nuage de sable que l’impact avait soulevé, je détachai mon harnais et m’extirpai péniblement du cockpit. Sautant à bas de l’appareil, je battais l’air autour de moi pour disperser la poussière et faire un premier état des lieux.

– Merde Doyle, je t’avais dit qu’il y avait un bruit.
– Et tu avais besoin de mon autorisation pour avoir la présence d’esprit de t’arrêter ?

Je fis le tour de l’appareil, pour constater les dégâts : tout le flanc droit du hoover était râpé, la peinture et le métal bosselé mis à nu par le sol durci de la piste. L’aile droite était tordue, et le gouvernail faussé. Les volets de freinage semblaient également avoir subi des dommages. Doyle s’accroupit à côté de l’aile, et fit un premier diagnostic.

– On devrait pouvoir redresser cette partie de l’aile. Les impacts là, là et là n’ont pas une grande importance, la carrosserie a encaissé le plus gros. Reste le problème du gouvernail et des aérofreins. Je vais voir ce que je peux faire avec les outils qu’on a, de ton côté cherche la provenance du bruit que tu as entendu.

Plongeant le nez sous le capot, je ne fus pas long à trouver ce qui clochait. L’alternateur magnétique avant droit avait grillé, précipitant le hoover vers le sol en le privant du champ répulsif qui lui permettait de glisser au-dessus de la surface.

– Un alternateur grillé, Doyle. Tu penses que tu peux l’arranger ?
– Ça risque d’être plus délicat. Laisse-moi regarder…

Je m’écartai pour lui laisser la place, et jetai un coup d’œil circulaire autour de nous. Remontant à bord de la cabine, je consultai la carte sur l’ordinateur de bord.

– Le village le plus proche est à 36 kilomètres. Ça donne quoi de ton côté ?

Doyle resta un moment le nez plongé sous le capot latéral, à tripoter l’alternateur. Je percevais de temps à autre un coup de pince, ou le grattement d’un tournevis.
Lorsqu’il se redressa, les mains écorchées par les fils électriques, son visage n’avait rien d’optimiste.

– J’ai peur que nous n’ayons pas le choix, Mc Eily. Il va falloir marcher.

Je caressai un instant l’idée d’enclencher la balise de détresse, mais nous étions censés rejoindre la base en toute discrétion, et c’était le meilleur moyen d’attirer une patrouille de xenops.
Ouvrant le coffre, nous récupérâmes l’équipement le plus indispensable, et recouvrîmes le hoover de sa bâche. Les pelles nous servirent à le recouvrir de sable, le dissimulant grossièrement à la vue d’éventuels observateurs.

– Ça ne trompera jamais une unité de patrouilleurs, mais ça peut éviter la curiosité d’un nomade solitaire.
– Tu as raison, reprit Doyle, allez, nous avons de la route à faire et la nuit va tomber.

Je chargeai mon sac sur mes épaules, m’assurant que le calibrateur magnétique était bien à l’abri dans la poche de mon harnais. Me voyant regarder, Doyle ne put s’empêcher de faire une remarque, tout en vérifiant la fermeture de son holster.

– On ne devrait pas le laisser là ? En l’enterrant on pourrait le récupérer au retour. Imagine qu’il nous arrive quelque chose…
– S’il nous arrive quelque chose, nous avons peu de chances d’être en mesure de venir le récupérer ici mon grand. Je préfère l’avoir avec moi au cas où nous serions obligés de fuir par d’autres moyens, et d’abandonner le hoover.
– Tu as peut-être raison.
– J’ai toujours raison, souviens-t-en la prochaine fois que je te dirai que le moteur a un bruit.

Doyle soupira, tandis que j’ajustais la sangle du P907 dans mon dos. Après un dernier regard vers le hoover endormi sous sa bâche, nous prîmes la route de l’est.

***

– Merde j’en ai marre de ce sable !

Je me laissai tomber par terre, et entrepris de délacer pour la énième fois ma rangers gauche.

– Tu as fini ton cirque Mc Eily ? Tu n’auras pas fait cinquante mètres qu’il faudra de nouveau la vider !
– C’est bien ce que je déteste dans ce foutu désert ! Mais je suis content que ça ne t’empêche pas de marcher, toi.
– Quelle gonzesse tu fais, quand même. Je me demande ce que dira Mae quand je lui raconterai ça.
– C’est pour ça que je suis devenu pilote ! Si j’avais aimé ramper dans le sable, j’aurai postulé chez les marines, pas dans l’airforce!

Las de supporter ma mauvaise humeur, Doyle fit quelques mètres en avant et se perdit dans la contemplation du soleil couchant. J’avais vidé ma godasse du sable qu’elle contenait, et entrepris de la relacer le plus serré possible.

– J’avais peur d’arriver dans la nuit mais me voilà rassuré, reprit-il, à ce rythme nous y serons bien après l’aube.
– C’est ça, Doyle, ton ironie est le meilleur remède à mon énervement.

Mais à l’image de Dantoïne, ma colère fut aussi brève qu’intense et nous repartîmes gaiement vers l’est, à la recherche d’une aide potentielle pour réparer le hoover. Doyle avait toutefois eu tort : ma chaussure fut de nouveau pleine de sable bien avant qu’on ait parcouru 50 mètres.

La nuit était glaciale, le thermomètre de ma montre flirtant avec les 30 degrés au-dessous de zéro. Je resserrais encore un peu la couverture de survie sur mes épaules, me forçant à agiter les orteils au fond de mes rangers pour éviter qu’ils ne gèlent.

– Je n’en peux plus Mc Eily, j’ai besoin de faire une pause.
– Bonne idée, Doyle, avec ce froid c’est le meilleur moyen d’attraper la mort.

Je m’arrêtai néanmoins, le temps de consulter le GPS et d’estimer la distance restante. Nous avions fait un peu plus de la moitié du chemin et la route était encore longue. La marche se révélait largement plus pénible que prévu, et nous avions un mal de chien à soutenir un rythme décent. Nous nous enfoncions dans le sable jusqu’aux genoux, le froid rendant notre progression encore plus éprouvante. Je luttais pour ne pas claquer des dents, et réprimais du mieux possible les frissons qui me parcouraient l’échine.
Nous marchâmes longtemps, ne gaspillant plus nos forces en inutiles bavardages, nous concentrant sur le rythme régulier qui nous portait en avant, mètre après mètre, pas après pas, vers une hypothétique et réconfortante chaleur.

– Et si les xenops occupent le village ?

Ça faisait un petit moment que cette idée me trottait dans la tête, le risque de voir notre utopique et hospitalière oasis se transformer en piège mortel ne m’enchantant que très modérément.

– Alors on essaiera de ne pas se faire voir.

C’était débile, mais c’était la seule réponse que mes neurones gelés avaient réussi à formuler.

***

– Bon, on y va ?

Nous étions allongés dans le sable, au sommet d’une dune un peu plus haute que les autres, la condensation de nos respirations haletantes traçant d’étranges arabesques dans l’air glacial. Je scrutais le village à l’aide des jumelles infrarouge que nous avions emportées, à la recherche d’une quelconque présence hostile. Les lieux semblaient déserts, et seule la fumée s’échappant des cheminées trahissaient la présence des habitants.

– Ça a l’air calme, je suppose qu’on peut y aller.

Il était bientôt quatre heures du matin, et nous étions l’un comme l’autre à bout de forces.

– Il y a peu de chances que nous trouvions un mécanicien dans ce bled, Doyle. Je pense qu’il vaut mieux rester prudents, se planquer, et tenter de piquer un alternateur sur un autre appareil.
– En admettant qu’on en trouve un. Ça m’étonnerait qu’un de ces ploucs dispose d’un hoover, même bas de gamme, et on ne trouve pas des alternateurs magnétiques sur n’importe quoi…
– Ouais, ben on verra sur place, d’abord on va essayer de ne pas mourir de froid. En route !

Nous nous redressâmes et reprîmes la direction du village en titubant, les jambes meurtries par les crampes et les pieds ankylosés par la morsure du froid.

– Alors, ça vient ?
– Je fais ce que je peux ! Je ne sens plus mes doigts, ça ne m’aide pas à crocheter la serrure !

Nous avions traversé le camp en silence, hésitant à demander l’assistance des nomades endormis. J’ignorais tout de leur hospitalité, et c’était la Confédération qui par sa présence ici, avait amené les xenops à occuper la planète. Ils pouvaient très bien manifester une juste rancune envers deux soldats de la Confédération, même si cette dernière les avait toujours traités convenablement. Dans le doute, nous avions pris le parti de nous abriter dans une sorte de hutte, et d’aviser à l’aube quand le soleil se lèverait.

– Je peux vous aider ?

Je sursautai en entendant une voix derrière moi, et me retournai instinctivement en braquant le P907. Doyle lâcha le vieux cadenas et se retourna en sifflant entre ses dents.

– Putain, Mc Eily, c’est comme ça que tu fais le guet ?

Une jeune femme se tenait face à nous, les bras serrés autour de la poitrine. Elle était grande, pieds nus dans le sable, seulement vêtue d’une fine chemise de nuit sous laquelle pointaient ses tétons, durcis par le froid.

– Je… Euh… Nous…

Cette vision surréaliste me fit perdre mes moyens et je restais seulement là, bêtement planté devant elle, incapable d‘aligner une phrase cohérente. Doyle eut finalement la présence d’esprit d’abaisser le canon de mon arme, et de tenter un début d’explication.

– Nous sommes tombés en panne, à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’ici.
– Ça justifie en effet que vous soyez en train de forcer la porte de ma grange.

Doyle me lança un regard inquiet, hésitant probablement sur la conduite à adopter pour la suite des événements. J’essayais d’évaluer les différentes possibilités qui s’offraient à nous: cette fille n’avait pas donné l’alerte, nous pouvions donc encore la neutraliser en silence, essayer de trouver un véhicule à voler, et ficher le camp avant qu’on ne nous tombe dessus. Toutefois, les nomades de Dantoïne bien que ne prenant pas part au conflit, étaient de notre côté. J’avais donc des scrupules à me conduire comme un voleur ou un pirate… De plus, le regard que nous lançait cette femme était d’une intensité telle, que les grelottements qui agitaient son corps étaient assurément dûs au froid. Nullement à la peur.

– Je vous prie de nous excuser, repris-je. Nous sommes des pilotes de la Confédération et nous sommes tombés en panne comme vous l’a dit mon compagnon. Nous voulions trouver de l’aide mais vu l’heure tardive, nous avons craint votre réaction et préféré nous abriter discrètement pour nous protéger du froid. Nous n’avions aucunement l’intention de…
– Venez, coupa-t-elle, ou nous allons tous mourir de froid.

La jeune femme fit volte-face, et nous entraîna à sa suite entre les petites baraques de brique et de toile. Ses pieds semblaient glisser à la surface du sable, contrairement à nous qui nous enfoncions lourdement, mais sa peau virait déjà au bleu sous l’effet de la température.
Elle nous fit signe d’entrer dans une des maisons, écartant la lourde tenture de l’entrée. J’aperçus du coin de l’œil le signe discret qu’elle fit au passage, et surpris un éclair fugace dans l’ombre d’un autre abri. C’était peut être mon imagination, mais ça ne m’aurait pas étonné que nous ayons été tenus en joue dans la lunette d’un fusil de chasse, tout le temps qu’avait duré notre petite conversation.
L’unique pièce était assez grande, le vaste espace central étant occupé par un lit de braises dans lequel se consumaient lentement des sortes de grosses cosses d’un fruit que je ne connaissais pas. Tout autour, d’épaisses draperies et coussins parsemaient le sol, donnant au lieu un air de confort et de chaleur irrésistible après l’horrible et glaciale traversée du désert que nous venions de vivre. Les côtés de la pièce s’élargissaient en étoile, des draps et des peaux tendues dessinant des cloisons entre les différents compartiments.
La jeune femme s’accroupit devant le foyer, pour se réchauffer. Elle déplaçait lentement ses mains au-dessus des braises pour dégourdir ses doigts, et s’adressa à nous sans détourner la tête.

– Si vous vouliez bien déposer vos armes à l’entrée, ma mère serait rassurée et elle pourrait retourner se coucher.

J’aperçus la vieille femme que je n’avais pas remarquée jusque là, nous dévisageant en silence entre deux tentures. Je réprimai un frisson en apercevant la crosse d’un fusil dépasser derrière son coude, le canon pointé directement sur nous au travers du rideau.

– Bonsoir, marmonna Doyle, incertain de ce qu’il devait dire.

Voyant qu’elles restaient toutes deux silencieuses, je décidai d’enchaîner :

– Merci de votre hospitalité.
– Vous ne croyez pas si bien dire, je vous sauve probablement la vie en vous hébergeant ici.

Elle enchaîna quelques instants après, devant notre mutisme.

– Déshabillez-vous et approchez, si vous tenez à sauver l’extrémité de vos membres.

Nous déposâmes nos armes près de l’entrée, comme elle nous l’avait demandé, et entreprîmes de nous déshabiller en grelottant. Le froid nous avait totalement engourdis, aussi c’est maladroitement que nous retirions nos vêtements, couche après couche.
Lorsqu’elle se fut réchauffée, la jeune femme se leva et se dirigea vers la partie de la pièce où sa mère avait disparue. Nous les entendîmes échanger quelques mots entre elles, à voix basse, avant qu’elle ne revienne un petit pot de terre cuite à la main.
Nous étions bêtement plantés devant le foyer, en sous-vêtements, encore grelottants malgré la chaleur ambiante régnant dans la maison.
Elle me tendit le pot, et désigna Doyle de son autre main.

– Frictionnez-le avec ça : frottez bien partout, sauf sur la tête et la gorge.
– Qu’est-ce que c’est ?
– De la graisse de skwamp. Elle va retenir votre température corporelle, et capter celle de la pièce. Soyez généreux sur les extrémités. Vous lui ferez la même chose lorsqu’il aura fini, ajouta-t-elle à l’attention de Doyle.

Elle disparut ensuite dans une autre pièce, d’où nous parvinrent des bruits de vaisselle.

– Ça n’a rien de sexuel, ne t’emballe pas, chuchotai-je à Doyle en commençant à lui appliquer la texture visqueuse sur le dos et les épaules.

Conscient des risques inhérents aux engelures, je me concentrais très sérieusement sur ma tâche, massant le corps gelé de mon compagnon avec application. A peine quelques minutes plus tard, je sentis une intense sensation de chaleur m’embraser, des picotements affreusement douloureux m’élançant les mains alors que le sang recommençait à circuler.
La jeune femme revint s’asseoir face à nous et posa une théière sur le foyer de braises rougeoyantes. Elle dut voir nos douloureuses grimaces, à moins qu’elle ne soit tout simplement rompue à cette sensation, car elle ajouta sans sourciller :

– C’est bon signe, si ça fait mal. Une absence de douleur induirait que vos membres aient été gelés.

Lorsque j’eus fini de masser Doyle, je m’assis et il me retourna la faveur, d’agréables vagues de chaleur me parcourant au fur et à mesure qu’il étalait les couches de graisse sur ma peau.
La théière émettait d’agréables sifflements, l’eau frémissant à l’intérieur. Notre hôtesse la retira du lit de braise, et remplit trois grands verres de thé brûlant qu’elle nous tendit.

– Buvez.
– Merci.

Nous avions l’air de deux écoliers surpris par la pluie, rentrés précipitamment de l’école, qui se faisaient bichonner par leur mère. Je récupérais progressivement la sensibilité et l’usage de mes doigts, la chaleur captée par la graisse continuant de se répandre au travers de mon corps, sous les rugueuses caresses de Doyle. Je profitais de cet instant pour étudier la jeune femme d’un peu plus près. Elle était plutôt grande, et ses longs cheveux blonds ruisselaient en cascade sur ses épaules nues. Sa peau cuivrée était tannée par le soleil, de grands yeux bleus illuminant son visage fermé. Son corps montrait les stigmates d’une vie rude, ses mains calleuses prolongeant des bras musclés. Sa poitrine ferme était petite et bien dessinée, traçant sous la fine chemise de nuit des contours sensuels pleins de promesses. Elle avait l’accent de Dantoïne, mais la couleur de ses cheveux, celle de ses yeux ainsi que son langage sonnaient en discordance avec la culture et les caractéristiques génétiques locales. Je réfrénais mon envie de lui poser la question, et revins au sujet qui lui valait notre présence.

– Vous avez un garagiste ou un mécanicien ici ?

Elle me regarda silencieusement pendant quelques secondes, avant qu’un sourire n’illumine enfin son visage.

– Un garagiste ? Tout ce que vous trouverez par ici, soldat, c’est du sable. Que ferions-nous d’un garagiste ou d’un mécanicien ?
– Ce campement est partiellement bâti de pierre. Je suppose que vous y passez un certain temps ? Vous n’avez pas de machines ? Aucun véhicule ?

Je ne m’étais jamais aventuré que dans les quelques grandes villes de Dantoïne, où les habitants avaient adopté un mode de vie sédentaire et relativement industrialisé. J’ignorais tout du mode de vie des nomades du désert, et m’en voulais de ne jamais avoir eu la curiosité de me renseigner sur le sujet.

– Non, reprit-elle, nous utilisons des outils que nous fabriquons nous même, avec ce que nous trouvons. C’est le seul moyen d’être sûrs de pouvoir les réparer, ou les remplacer. De plus, cette planète n’aime pas ceux qui ne s’adaptent pas à son mode de vie austère, elle les ressent comme votre organisme percevrait des corps étrangers, et cherche à s’en débarrasser. Elle a bien failli réussir avec vous ce soir, d’ailleurs.

Je réprimai un sourire devant la naïveté de ce genre de propos, imprégnés d’une forte culture tribale, et décidai de recentrer la conversation.

– Il n’y a personne dans les environs qui puisse nous aider à réparer un alternateur magnétique ?

Elle but quelques gorgées de thé avant de répondre, son regard pénétrant plongé dans le mien.

– Cela m’étonnerait sincèrement. Nous verrons demain, je réunirai le conseil à votre sujet. Maintenant je vais me coucher et vous devriez en faire autant.

Elle se leva et se dirigea vers un des espaces délimités par les tentures.

– Merci encore pour votre aide, lançai-je.

Elle se retourna et acquiesça d’un bref signe de tête, avant de disparaître derrière l’épais rideau. Nous nous allongeâmes près du foyer et nous endormîmes rapidement, épuisés par cette longue et éprouvante nuit de marche.

***

Je fus réveillé par la lumière du soleil, filtrant au travers des cloisons. Les braises étaient froides depuis longtemps, et Doyle ronflait à sa place comme un bienheureux. Je mis un instant à essayer de comprendre ce qui me collait à la peau, avant de me rappeler du tartinage de la nuit.

– Réveille-toi Doyle, il fait jour.

Il émergea doucement, s’étirant en silence. Je me levai et appelai pour voir si nous étions seuls. N’ayant pas de réponse, j’entrouvris la tenture de l’entrée pour jeter un œil au dehors. La chaleur me tomba dessus comme une chape de plomb, le désert ayant retrouvé toute la puissance de sa fournaise diurne. Je mis ma main sur mon front, improvisant une visière pour protéger mes yeux de la réverbération et jetai un œil circulaire autour de la maison. La jeune femme qui nous avait hébergés discutait un peu plus loin avec un autre type, et prit congé pour venir à ma rencontre lorsqu’elle m’aperçut.

– Vous voilà réveillés ! Bien reposés ?
– Je, oui… Merci.

Elle me repoussa à l’intérieur, et se glissa sur mes talons.

– L’eau est trop précieuse pour que je puisse vous proposer de prendre une douche, mais je vais vous fournir de quoi vous nettoyer et vous débarrasser de la graisse de skwamp. J’ai demandé que le conseil se réunisse pour voir ce que nous pouvons faire pour vous : ses membres vous rencontreront ce soir. D’ici là, je vous propose de nous aider du mieux que vous le pourrez dans la vie de ce campement, ça vous permettra d‘être mieux perçus.

Je la remerciai du conseil et nous la suivîmes au dehors, vers une espèce de petite cahute en bois. Elle nous indiqua ce qu’il fallait faire, et je me glissai sous le réservoir après m’être déshabillé, un peu anxieux.
Elle activa un levier sur le côté, un filet de sable se mettant aussitôt à couler, se répandant sur ma tête et mes épaules. Le sable était brûlant, et malgré la chaleur ambiante la sensation était très délassante. S’avançant ensuite à mes côtés, elle me tendit une sorte de gant rêche tissé en crins, visiblement amusée par ma pudeur.

– Frottez-vous vigoureusement, c’est le gant qui enlèvera la crasse.

Je m’exécutai, enchaînant selon ses indications les quelques étapes de cette étrange toilette du désert. A ma grande surprise lorsque ce fut terminé, je me sentis propre et détendu, comme après une véritable douche.

– Ça ne remplace pas une véritable toilette, mais ça permet de respecter un minimum d’hygiène à moindre frais, m’expliqua-t-elle en m’accompagnant vers la place centrale du campement.
– Je m’aperçois que je ne connais même pas votre nom, remarquai-je.
– Quel est le vôtre ? S’il me plaît, je vous dirai peut-être le mien.
– Je m’appelle Mc Eily, et mon camarade s’appelle Doyle.
– Très bien Mc Eily. Vous pouvez m’appeler Michelle.

Elle dut remarquer mon air interloqué, car elle reprit aussitôt.

– Ça ne vous plaît pas ?
– Si, c’est juste que… Ça ne fait pas très couleur locale. Vos yeux et vos cheveux non plus d’ailleurs.
– Je ne suis pas native de Dantoïne. Mais assez parlé de moi, vous vouliez mon nom, vous l’avez. Il est temps de se mettre au travail, venez.

***

La journée fut éreintante, Michelle nous assignant respectivement des tâches harassantes. Je commençais par aider à la reconstruction du mur d’une maison, qu’une tempête avait fait effondrer, tandis que Doyle participait au dépeçage d’espèce de grosses limaces des sables, qu’avait ramené un des membres du camp.
Nous étions bien traités, mais seule la jeune femme nous offrait une réelle hospitalité, venant régulièrement prendre de nos nouvelles, nous donner des conseils ou nous apporter de l’eau.
Elle disparut après le déjeuner avec deux autres femmes pour aller à la chasse, nous laissant aux mains du reste de la tribu. Nous fûmes de nouveau mis à contribution, participant au désensablage des allées du campement, réajustant l’orientation des grandes peaux tendues entre les maisons pour projeter de l’ombre aux endroits voulus, ou aidant au tressage de cordages à partir de fibres végétales. J’étais fasciné par l’habileté avec laquelle ces gens effectuaient en quelques secondes des tâches qui nous prenaient plusieurs minutes d’un travail laborieux. Doyle tenta de me rassurer en m’indiquant qu’ils seraient certainement moins à l’aise aux commandes d’un Raptor en vol suborbital, et il avait probablement raison, mais je ne pouvais m’empêcher d‘être admiratif. Je fus toutefois soulagé de voir revenir Michelle un peu avant le coucher du soleil, le dos chargé d’un gros lézard écailleux. Elle s’approcha de nous, un sourire radieux au visage, en constatant nos mains écorchées et pleines d’ampoules. Elle dégageait une odeur puissante et âcre, et je me surpris à penser que la toilette du désert devait trouver ses limites assez rapidement.

– Alors, qu’avez-vous pensé de cette journée au rythme de Dantoïne ?
– C’était fabuleux… Je suis vraiment navré que nous soyons obligés de vous quitter aussi rapidement, ironisa Doyle.
– Alors rassurez-vous, vous n’êtes pas encore partis.

Je venais de finir la tâche qui m’avait été confiée, aussi lui emboîtai-je le pas lorsqu’elle prit la direction de sa maison, après avoir confié le lézard à une vieille femme.

– Michelle ! Je voulais vous demander quelque chose… Je sais que l’habitude joue un rôle important, mais nous avons passé la journée à suer comme des bêtes, Doyle et moi alors que les autres autour de nous s’affairaient en plein soleil sans avoir l’air le moins du monde incommodé… Même vous, vous revenez de plusieurs heures de chasse, et vous avez l’air plus fraîche que n’importe lequel d’entre nous.

Elle écarta la tenture, me laissant pénétrer dans la maison, et je ne pus réprimer un frisson tellement la différence de température était surprenante : il faisait quasiment frais à l’intérieur. Je jetai un œil circulaire, fasciné par les propriétés isolantes des parois pourtant fines.

– Nous ne sommes pas des surhommes, Mc Eily. Je vous ai dit que Dantoïne ménageait ceux qui la respectaient. En n’utilisant que des matériaux d’ici, nous gagnons ses faveurs et elle nous épargne.

Elle éclata de rire en voyant mon air désabusé, et reprit plus sérieusement.

– C’est le type de propos que vous risquez d’entendre lors de la réunion du conseil, ce soir. Évitez de faire une telle moue, il vaut mieux avoir l’air d’y croire. Tout est une question d’ingéniosité Mc Eily. Nous utilisons des peaux et des fibres prélevées sur les animaux et les plantes de Dantoïne aux facultés naturellement isothermes. Quelques astuces permettent ensuite de créer des abris ou des vêtements adaptés à cet environnement extrême, c’est aussi simple que ça. Mais pour un nomade de Dantoïne, rien de tout ça ne sert à quoique ce soit si on ne s’assure pas la bienveillance de la planète.

J’acquiesçai, notant de m’en rappeler lors du conseil de ce soir.

– Je vais vous montrer, reprit-elle.

Avant que j’ai eu le temps de lui demander quoi que ce soit, elle avait ôté sa cape, et dégrafai une à une les attaches de sa tunique. Elle la retira d’un geste ample, se retrouvant seins nus devant moi. Nullement gênée par la situation, elle me montra l’intérieur du vêtement qui recelait une véritable armature de bois, constituée de fines branches entrelacées les unes aux autres. Des poches opaques étaient prises entre les branchages, en divers endroits.

– Qu’est-ce que c’est ?
– Des poches d’air. Ce sont des vessies que nous prélevons sur certains animaux, et qui sont remplies de gaz avant d’être cousues hermétiquement. Elles jouent un rôle isolant.
– Je pense qu’il va falloir que je révise mes a-priori sur les inventions artisanales.

Nous discutâmes un petit moment, avant que Doyle ne finisse par arriver.
Il sembla un peu surpris par la situation – Michelle ne s’était pas rhabillée – mais fit comme si de rien n’était et se mêla à la conversation.
Le début de la soirée fut nettement plus reposant, la jeune femme nous donnant quelques recommandations pour le conseil qui allait avoir lieu.

***

Nous étions assis au centre du village, les nomades formant un cercle autour de nous. Une demi-douzaine d’entre eux, parmi les plus âgés, formaient un croissant face à nous, et nous posaient toutes sortes de questions diverses et variées. Nous avions commis plusieurs boulettes, notamment Doyle, qui avait depuis décidé de me laisser parler.
La situation commençait personnellement à m’agacer, ça faisait deux heures que ces primates nous faisaient tourner en bourrique avec un interrogatoire qui n‘avait ni queue ni tête. J’avais envie d’en finir et de les entendre me dire qu’ils allaient nous aider ou nous laisser crever comme des chiens. N’y tenant plus, je me levai et coupai d’un geste la parole à un des anciens. Un silence de mort s’abattit sur la tribu, comme si je l’avais giflé, rapidement suivi par un flot de murmures scandalisés. J’aperçus le regard de Doyle, puis plus furtivement celui de Michelle, qui en disait long sur les conséquences de mon geste inconsidéré.

– Écoutez… Ce conseil n’a aucune raison de se réunir sous cette forme. Vous nous jugez comme si nous étions des membres de votre tribu, et qu’il vous fallait décider de quelque chose vous concernant tous. Ça n’est pas le cas. Nous apprécions tout ce que vous avez fait pour nous, et nous sommes tout à fait conscients que vous nous avez sauvé la vie. Mais nous ne sommes pas nés sur Dantoïne, et nous ne pourrons jamais nous considérer comme ses enfants. Vous êtes en train de vous demander si nous valons la peine que vous nous aidiez, et cette réponse je peux vous la donner : c’est non. Nous n’avons rien à vous apporter, nous ne connaissons rien à ce monde. Nous n’avons rien à vous donner, et même si c’était le cas vous ne l’accepteriez pas car ça serait quelque chose d’étranger à votre culture et à cet environnement. Si la question ne tenait qu’à nous, vous risqueriez les pires ennuis pour votre clan sans avoir rien à gagner en retour, il est donc inutile de continuer à débattre là-dessus.

Le plus ancien fit mine de se lever, mais plusieurs autres membres du conseil estimèrent que je n’avais pas terminé car ils lui firent signe de patienter.

– Merci, repris-je. La seule chose que vous devez prendre en compte, c’est qu’il ne s’agit pas que de notre seule survie. Nous sommes des pilotes Confédérés, comme vous l’avez vu à nos uniformes, et j’ai pleinement conscience des problèmes que l’intégration de Dantoïne au sein de la Confédération a causé aux peuples nomades comme le vôtre. Vous avez toutefois pu constater la différence depuis l’arrivée des xenops : Dantoïne représente pour eux un point stratégique dans ce système, et nous ne serons bientôt plus en mesure de leur résister. Nous sommes en possession d’une pièce d’armement expérimental, le calibrateur magnétique, que nous étions chargés de ramener à la base de Tarkoïns avant que notre appareil ne tombe en panne. Cet engin nous permettra de mettre en place une grille de défense stratégique extrêmement précise via le réseau de satellites de combat que nous sommes sur le point de déployer en orbite. Si le plan fonctionne comme prévu, ce système peut nous donner l’avantage dans la lutte qui nous oppose aux xenops sur Dantoïne.

Un des membres du conseil se leva et m’interrompit.

– Nous ne faisons pas partie de la Confédération. Votre lutte n’est pas la nôtre, en quoi tout cela nous concerne-t-il ?
– Si la Confédération est vaincue, nous abandonnerons Dantoïne aux xenops. Ils en feront un point de relais vital vers le système d’Algoth, prochaine cible de leur folie expansionniste. Cela implique qu’ils occuperont Dantoïne en permanence. Ils y construiront des ports de fret, des bases militaires, des casernements. Et plus ils nous repousseront, plus ils seront nombreux : soldats d’abord, puis viendront les colons, les marchands. Les xenops ont besoin d’eau pour vivre. Bien plus que nous autres humains. Ils ont besoin d’un taux d’humidité élevé et constant. Ce qui n’est pas vraiment le cas de Dantoïne. Alors, comme ils en ont besoin pour des raisons stratégiques, ils feront ce qu’ils ont fait jusque-là, à des centaines d’autres mondes : ils l’adapteront. Ils modifieront l’écosystème, le climat, ils amèneront l’eau sur Dantoïne. Et vous ne pourrez rien y faire.

Les visages changeaient dans l’assistance, au fur et à mesure qu’ils prenaient la mesure de mes paroles. Je décidai qu’il était temps de porter le coup de grâce.

– Aujourd’hui, vous avez la possibilité d’empêcher ça : le calibrateur doit à tout prix arriver aux mains de la Confédération. En nous aidant, ce n’est pas nous que vous sauverez, c’est Dantoïne.

Les murmures reprirent de plus belle, nettement plus animés cette fois. Doyle s’approcha de mon oreille, en me prenant l’épaule.

– Merde Mc Eily, s’ils décident de nous exécuter je voulais te dire que c’était un putain de beau discours !

L’agitation était à son comble, au sein de la petite tribu, lorsque je captai le regard brillant de Michelle. Elle se redressa brusquement, et s’écria d’une voix forte et sans appel :

– POUR DANTOÏNE !

Son cri fut aussitôt reprit par l’ensemble des guerriers qui se levèrent en brandissant les quelques fusils primitifs qui composaient leur armement. Nous avions gagné leur cause, mais il valait mieux que nous n’ayons pas à nous frotter aux xenops…
Une grande fête fut donnée, et Michelle vint nous informer que nous serions escortés dès le lendemain vers la cité de Tarkoïns par leur meilleurs guerriers. Le voyage durerait plusieurs jours, mais nous serions en bonnes mains. Nous fûmes ensuite pris à parti pour participer aux danses et aux jeux qui se succédèrent jusqu’à ce que la température ne soit trop basse. C’est fourbus mais heureux, que nous suivîmes finalement Michelle dans sa maison où nous prîmes un dernier thé, brûlant, avant d’aller nous coucher.

***

– Mc Eily, levez-vous, vite !

J’émergeai subitement, alerté par la voix inquiète de Michelle. Elle était agenouillée près de moi, et secouait Doyle.

– Que se passe-t-il ?

J’en déduisis à mon état de fatigue que quelques heures à peine s’étaient écoulées depuis que nous nous étions couchés. Michelle se redressa, et disparut dans sa chambre pour s’habiller.
Je me levai, rapidement dégrisé par l’inquiétude. Tout le campement semblait en alerte, et j’entendais des gens courir dans les allées autour de la maison. Je m’habillai précipitamment, et cherchai mon flingue des yeux lorsque Michelle reparut, vêtue de ses habits du désert.

– Vos armes sont dans ce coffre, restez-là je vais voir ce qui se passe.

L’odeur âcre que j’avais perçu la veille sur la jeune femme me prit à la gorge tandis qu’elle passait devant moi, et disparut au-dehors. Doyle finissait d’enfiler son pantalon, tandis que je récupérais mon P907.
Je lui tendis son Colt Penetrator et me ruais au-dehors, ignorant les consignes de Michelle.
Le jour se levait à peine, le soleil baignant les dunes de leurs orangées. Elles semblaient s’embraser sous l’effet des rayons heurtant le sable encore frais, leur crête irisée de reflets roux et vibrants, comme autant de flammèches folles dansant à leur sommet.
Ne voyant pas Michelle, j’alpaguai au passage un type qui courait.

– Eh ! Qu’est-ce qui se passe ?
– Restez à l’intérieur ! Ils arrivent !

Ignorant également son conseil, je me mis à la recherche de Michelle que je finis par trouver à la sortie du village, par où nous étions arrivés.

– Michelle ! Que…

Sautant au bas de la dune sur laquelle elle avait grimpé, elle m’entraîna par le bras vers la maison.

– Je vous avais dit de ne pas bouger ! Ce sont les xenops, ils ont du trouver votre appareil et ont suivi vos traces… Il y a eu très peu de vent depuis quelques jours.
– Les xenops ? Combien sont-ils ?
– Une douzaine, ils seront là dans quelques minutes. Venez, je vais vous cacher.

J’appelai Doyle, qui venait de surgir de la maison son sac sur le dos.

– Michelle écoutez-moi ! Ça ne sert à rien de nous dissimuler. Une douzaine de xenops, aussi loin d’une grande ville, il ne peut s’agir que d’une escouade de patrouilleurs, ils nous trouveront où que vous nous cachiez. Nous allons filer pour protéger votre campement, n’opposez aucune résistance, c’est le seul moyen pour qu’ils vous épargnent.

La jeune femme sourit, et posa sa main sur ma joue.

– Vous avez été brillant dans votre discours d’hier soir, Mc Eily. Mais il vous reste encore quelque chose à apprendre. Nous sommes comme cette planète, sans concession. Et nous avons juré hier de vous aider.
– C’est de la folie, intervint Doyle, ils vont vous massacrer !
– C’est-ce que nous verrons, répondit Michelle.

Je reconnus le bruit caractéristique d’une torche à plasma, rapidement suivi d’une odeur de chair brûlée.
Des cris s’élevaient à l’entrée du village que nous venions de quitter, et quelques coups de feu retentirent, rapidement couverts par les déflagrations frémissantes des tirs de plasma. Les nomades s’activaient en une sorte de panique frénétique, abattant rapidement les tentures des allées et les toits des maisons. Les rayons du soleil se glissaient partout, traquant la moindre parcelle d’ombre sans pitié, nous ôtant tout espoir de nous dissimuler.

– Merde Mc Eily ! Ils perdent les pédales !

Les premiers xenops débarquèrent dans l’allée quelques secondes après que Michelle ait disparue à l’intérieur de sa maison. Agissant purement par réflexe, j’en ajustai rapidement un au jugé et balançai une longue rafale dans sa direction. Les balles à haute vélocité le trouvèrent, perforant sa combinaison comme du beurre en le projetant contre un mur dans un bruit sourd.

– Doyle ! Foutons le camp !

Je m’engageai dans une allée, les lourdes détonations du Colt Penetrator résonnant derrière moi dans l’air vibrant. Doyle me rejoignit, déjà essoufflé par la chaleur naissante, au moment où deux xenops surgirent devant nous. Le tir le faucha à hauteur du ventre, son cri atroce m’arrachant les oreilles. Je tentai de riposter mais j’eus l’impression qu’on m’arrachait la colonne vertébrale. Mes sphincters se relâchèrent instantanément en souillant ma combinaison, le douleur étant de loin trop insupportable pour que j’en éprouve la moindre honte. J’eus le temps de réaliser qu’ils avaient utilisé des fouets neuraux pour nous prendre vivants, ce qui voulait dire qu’ils savaient que nous transportions quelque chose d’important. Ce qui était probablement le pire qui puisse nous arriver…
Puis je perdis conscience et tout devint noir .

***

Je repris mes esprits douloureusement, ma vue se stabilisant après quelques secondes de flou. Nous étions allongés dans le sable, au milieu de la petite place où nous avions fêté notre alliance quelques heures auparavant… A croire que notre victoire avait été de courte durée. Je tentai de structurer le fil de mes pensées, cherchant désespérément un moyen de nous tirer de là.
L’effet du fouet neural ne durait jamais très longtemps, il ne s’était pas passé plus d’une demi-heure. Le soleil n’était pas encore haut, mais la chaleur était déjà accablante et le village n’avait plus la moindre zone d’ombres depuis que les nomades avaient abattu les tentures.
Le plus gradé des xenops se pencha sur moi, voyant que je reprenais conscience, et saisit mon visage entre ses doigts glissants, sous le regard impuissant des nomades survivants tenus en respect par les armes de nos ennemis.

– Où est le calibrateur magnétique, humain ?

Ils savaient donc, pour le calibrateur. Ce qui voulait dire qu’ils avaient trouvé Arkzan, le scientifique à l’origine de ce projet, et réalisateur de l’unique prototype que nous avions en notre possession.
Arkzan était originaire de Dantoïne et bien qu’il fit partie des autochtones qui s’étaient sédentarisés dans la capitale, il avait toujours gardé la fierté de ses ancêtre nomades. Il avait sans aucun doute préféré déclencher la bombe corticale implantée dans son crâne, que de révéler ses secrets aux xenops.
Malheureusement, je n’avais pas de bombe corticale.
Ils nous avaient, ceci dit, forcément fouillés et avaient dû trouver l’appareil, fixé à mon harnais. Je palpais discrètement la poche où je l’avais rangé en faisant mine de me redresser, pour m’apercevoir qu’elle était vide.
Le chef me saisit par le col de ma combinaison et jeta un œil à mes plaques.

– Écoutez, capitaine Mc Eily, je n’ai pas de temps à perdre et cette chaleur me tape sur les nerfs. Dites-moi où trouver le calibrateur, ou je le fais dire à votre camarade.

Un autre xenops s’empara de la main de Doyle, qui émergeait à peine, et lui arracha lentement la première phalange du petit doigt à l’aide d’une sorte de pince. Doyle hurla, et je serrais les dents pour retenir ma rage. Les xenops étaient réputés à travers tout l’univers pour leur cruauté sans limite, et j’avais déjà vu plusieurs proches mourir entre leurs mains aussi sadiques qu‘expertes. Nous ne pouvions rien faire pour y échapper : que nous coopérions ou non, ils trouveraient le calibrateur. Et que nous les ayons aidés ou qu’ils l’aient trouvé tout seuls, ils allaient nous torturer à mort. Il n’y aurait pas de renfort miraculeux cette fois-ci. Conscient que je ne pouvais rien y changer, je décidai de mourir honorablement.

– Va chier grosse limace ! Tu peux nous torturer, c’est tout ce que ta sale race de batraciens ait jamais su faire.

Il sourit et s’épongea le front, ses branchies s’ouvrant et se fermant à un rythme élevé, confirmant qu’il était profondément incommodé par la chaleur. Il saisit la torche à plasma fixée à sa ceinture et en réduisit l’intensité au minimum, probablement pour me carboniser une main, ou un pied.

– Arrêtez ! Je vais vous dire où est l’appareil que vous cherchez !

C’était Michelle qui venait de s’avancer d’un pas dans notre direction. Le chef, un sergent apparemment d’après le grade inscrit sur sa combinaison, fit un geste à ses hommes pour qu’ils la laissent approcher.

– Je vous en prie, ne leur faîtes pas de mal !

Le sergent lui passa la main dans les cheveux, avant de siffler entre ses dents :

– Où est-il ? Leur mort sera lente et douloureuse, c’est la seule qui incombe à ces chiens de la Confédération. Mais vous êtes neutres dans ce conflit, dites-moi où est l’appareil et nous épargnerons votre tribu.

Michelle me lança un regard affolé. J’étais d’autant plus perturbé qu’il était fort possible que cet enfoiré dise la vérité : les xenops étaient des tortionnaires sans réserve, qui considéraient la douleur (pour eux-mêmes ou leurs victimes) comme une forme absolue d’élévation spirituelle. Mais c’était également des soldats, et ils n’avaient pas pour habitude de s’en prendre à ceux qui ne leur résistaient pas.

– Nous l’avons mis à l’abri dans la grotte de la sainte vérité.
– Très bien mademoiselle. Vous allez nous mener à cette grotte.
– Vous nous épargnerez si nous vous aidons ?
– Ma race n’a qu’une parole. Nous n’avons pas besoin de mentir pour obtenir ce que nous voulons.
– Alors ce ne sera pas aussi simple. La grotte est gardée par nos meilleurs guerriers. Ils ne se rendront pas sans combattre, et ils connaissent parfaitement le terrain.

Un des anciens du conseil s’avança, et fustigea Michelle dans leur dialecte rituel, en la menaçant du poing. Il fut aussitôt stoppé par un des xenops, qui lui balança un coup de crosse dans le ventre.

– Je suis désolée, gémit Michelle en se tournant vers le reste de la tribu. Je sais que c’est contraire à notre code de l’honneur, mais il y a déjà eu trop de morts, et nous ne pouvons rien faire pour sauver nos amis…
– Vous êtes pleine de sagesse mademoiselle, reprit le sergent. Pensez à tout ce que vous pouvez encore sauver en coopérant.

Elle reposa son regard vers moi, ses grands yeux bleus pleins de larmes.

– Je suis navrée, Mc Eily. J’aurai voulu pouvoir tenir ma parole. Chef, je vais vous guider jusque là-bas. Je tenterai de raisonner nos guerriers. S’ils refusent, vous serez obligé de les maîtriser.
– Ça ne sera pas un problème pour mes hommes. Où est cette grotte ?
– Dans le défilé Kaz’rakn. Il… Il faut emmener le capitaine Mc Eily avec nous.

Le sergent reposa ses yeux sur moi, avant de revenir à Michelle.

– Pour quelle raison ?
– L’appareil que vous cherchez est dans un coffre sécurisé. Je pense que seul le capitaine en connaît la combinaison.

Le calibrateur avait disparu, et ça n’était pas les xenops qui l’avaient trouvé. Michelle avait donc dû le subtiliser pendant notre sommeil. Il était possible qu’elle l’ait fait emporter dans cette fameuse grotte dont elle parlait, et il était possible qu’elle soit en train de trahir les membres de sa tribu pour essayer de les sauver malgré eux. Mais cette histoire de coffre était bidon, et elle savait que je le savais. Prenant cet indice comme un signal, je décidai de jouer le jeu.

– Espèce de salope ! Tu…

Le sergent m’écrasa le visage sous sa botte, me réduisant au silence.

– Restez calme, capitaine. Vous aurez tout le loisir de crier ultérieurement.

Michelle se mit à sangloter, répétant sans cesse qu’elle était désolée. Le sergent donna quelques ordres, et désigna trois de ses hommes pour garder le village et ses prisonniers. Doyle rejoignit les nomades restants, tandis que Michelle et moi étions emmenés à l’écart. Quelques minutes plus tard, nous nous mîmes en route, prenant la route du sud. Les patrouilleurs xenops se déplaçaient en escouade de douze soldats. J’en avais abattu un, et n’en ayant compté que dix sur la place, je supposais que les nomades en avaient descendu un deuxième. Trois étaient restés au village, et les sept restants nous escortaient vers cette soi-disant grotte. Quoique Michelle ait planifié, et aussi doués soient les guerriers dont elle avait parlé, ils n’avaient aucune chance face à sept patrouilleurs xenops. C’était déjà un miracle que nous en ayons abattu deux.

***

Nous marchions depuis des heures, le sergent et deux soldats ouvrant la voie devant nous, tandis que les autres nous entouraient, Michelle et moi. Nous avions interdiction de nous parler, aussi me contentais-je de marcher péniblement, sous la chaleur accablante qui nous étouffait. Les xenops s’enfonçaient lourdement dans le sol, comme moi mais contrairement à Michelle. Cette dernière marchait d’un pas égal, de sa démarche si particulière, s’enfonçant à peine à chaque pas et ne semblant nullement incommodée par la température.
Mes jambes me faisaient souffrir le martyr, et ma langue collait à l’intérieur de ma bouche complètement desséchée. Nous marchions depuis au moins six heures sans interruption, et la fatigue avait gagné chacun de nous. Une longue chaîne de montagnes était apparue à l’horizon depuis un bon moment déjà, et nous nous en approchions lentement, au rythme pénible d’une marche forcée.
Michelle désigna au sergent la falaise dans laquelle se trouvait la grotte qu’ils cherchaient. Deux heures plus tard, nous étions au pied de la longue barre rocheuse, qui s’avéra en réalité constituée de sable durci et cristallisé, dont la surface ocre semblait vibrer sous la réverbération de la chaleur.
La jeune femme désigna une faille dans la paroi.

– La grotte est par là. Il vaut mieux être prudents, nos guerriers peuvent se manifester n’importe où à partir d’ici.

Le sergent acquiesça silencieusement et fit signe à ses hommes d’adopter leur formation de combat. Michelle s’approcha de lui, et posa sa main sur son poignet.

– Je vous en prie, promettez-moi de me laisser une chance de les raisonner. Même s’ils attaquent les premiers.
– Je ne peux rien promettre de tel s’ils s’en prennent à mes hommes. Mais tant que nous ne serons pas sous le feu, je n’ordonnerai rien d’offensif.

Estimant à juste titre que c’était le mieux qu’elle puisse obtenir, elle le remercia et rejoignit sa place dans le groupe, à mes côtés. Elle sembla hésiter un instant et, m’enlaçant subitement, m’embrassa à pleine bouche. Sa langue viola mes lèvres tandis qu’elle se frottait contre moi, littéralement en chaleur. Elle fut violemment tirée en arrière par un des soldats, qui la repoussa sans ménagement sur le sol avant d’aboyer :

– Garde tes distances, espèce de chienne !

Michelle se redressa, et murmura, sans oser me regarder.

– Je suis désolée Mc Eily.

Nous nous engageâmes dans le canyon, et l’ombre qui y régnait fut un soulagement pour tout le monde : la chaleur était accablante, mais elle restait pour le moins supportable. Malgré la fatigue, je savais que l’endroit était propice à une embuscade. Les xenops n’étaient pas stupides non plus, et ils avaient redoublé de prudence, leurs torches à plasma prêtes à détruire n’importe quelle menace. Je m’attendais à voir subitement des rochers dégringoler du haut des falaises, ou des nomades jaillir hors du sable pour se jeter sur nous, mais rien ne se produisit.
Nous marchions depuis quelques centaines de mètres, le goulot se resserrant petit à petit entre les parois, et maintenant que l’impression de fraîcheur était passée, la fatigue avait redoublé d’intensité. J’étais en train de décrocher, ma vue brouillée par l’épuisement, lorsque un cri affreux me ramena à la conscience. Un des xenops venait de s’enfoncer dans le sol, et se débattait en poussant des hurlement, aux prises avec quelque chose planqué dans le sable. Un de ses compagnons se précipita pour l’aider, tandis qu’un autre pointait son arme vers le sol, prêt à faire feu sur ce qui pourrait en surgir. Ils finirent par le dégager, mais lorsqu’ils le tirèrent pour le remettre debout la partie inférieure de sa jambe avait disparue.

– Merde ! Mais qu’est-ce que…

Un autre soldat, du groupe de tête cette fois-ci, poussa un cri à son tour. Le sable autour de lui était agité de soubresauts, comme si une créature tentait de l’attirer sous la surface. Le sergent donna l’ordre de faire feu, les torches à plasma crachant leur puissance meurtrière dans le sol, tout autour de nous.
J’aperçus, au travers des remous qui agitaient le sable, des corps lisses et pâles que je pris pour de grosses anguilles, ou quelque chose d’approchant.
Il y eut soudain un grondement effrayant au milieu du chaos ambiant, et toute la falaise se mit à vibrer autour de nous. Je m’aperçus qu’un des xenops était tombé sur le dos, et se faisait dévorer vif en poussant d’horribles hurlements. Il agitait convulsivement sa lance à plasma devant lui, découpant d’énormes blocs dans les parois cristallisées. Tout commença par un glissement de sable, anodin tout d’abord, puis de plus en plus conséquent alors que les vibrations augmentaient. Les autres xenops eurent le mauvais réflexe et ouvrirent le feu à leur tour pour détruire les amas de sable qui dégringolaient vers nous. Puis tout se précipita. Je m’aperçus, en même temps que les soldats, que seules les parois de la falaise étaient solides. Une épaisseur de deux ou trois mètres peut être, pas plus. Tout l’intérieur était friable, le sable ruisselant par les orifices crées par les tirs de plasma. En quelques secondes la falaise s’effondra sur nous, de véritables flots sableux remplissant le canyon comme un gigantesque fleuve devenu fou et incontrôlable. Nous étions déjà ensevelis jusqu’à la taille, lorsque Michelle tira sur la ceinture de corde qui fixait le bas de sa tunique à son pantalon. L’armature de bois contenue sous sa veste se déploya subitement, gonflée par les lattes et les grosses poches d’air chaud libres de toute compression. L’ensemble agit comme une bouée, maintenant la jeune femme à la surface du sable tandis que le canyon continuait de se remplir à une vitesse hallucinante.
Elle me tendit la main, et je dus concentrer l’ensemble de mes forces, mû par l’énergie du désespoir, pour me jeter vers elle et saisir son poignet. Je fermai les yeux et cessai de respirer, les flots de sable se déversant sur moi et me submergeant totalement. La pression ferme des doigts de la jeune femme sur mon bras fut la dernière chose que je perçus, avant de perdre pied.

***

J’avais la bouche pleine de sable, du mal à respirer, et l’impression qu’un pachyderme m’avait gambadé sur le corps mais j’étais vivant. Lorsque j’ouvris les yeux, j’aperçus Michelle penchée sur moi, occupée à me tamponner le front avec un linge humide.

– Michelle..? Co… Comment avez-vous fait ça ?

La jeune femme sourit, en rajustant le haut de sa tunique.

– Moi ? Mais je n’ai rien fait d‘autre que de nous emmener ici… Je vous avais prévenu : les xenops peuvent vaincre la Confédération, ils peuvent soumettre les peuples libres, mais jamais ils ne règneront sur cette planète, Mc Eily, Dantoïne n’est pas un monde qu’on domestique.

Je méditais sa réflexion, tout en contemplant le paysage dévasté qui s’offrait à nos yeux. Les falaises s’étaient effondrées sur une cinquantaine de mètres, remplissant le canyon sur plus d’un tiers de sa longueur. Il n’y avait plus aucune trace des xenops, nous étions comme deux naufragés au milieu de nulle part.
Elle érigea rapidement un petit monticule, derrière lequel nous nous abritâmes pour profiter un peu de l’ombre avant de prendre le chemin du retour. Elle m’expliqua sur la route que les xenops avaient péché, comme moi, d’un excès de confiance dû à un sentiment de supériorité inapproprié. Ils étaient assurément plus forts que nous, mais il étaient loin de faire le poids face à la sauvagerie sans pitié de Dantoïne. Elle savait que la longue marche au soleil les épuiserait, affaiblissant leur bon sens et leur prudence, aux dépends de leur impulsivité.
Le canyon où elle nous avait emmené regorgeait, comme la plupart des endroits régulièrement ombragés de la planète, de ces terribles prédateurs souterrains. L’odeur que j’avais perçue sur elle à plusieurs reprises, était issue des glandes de leur plus redoutable prédateur, le skaär. Une sorte de gros serpent de sable carnivore, dont l’odeur les tenait en respect à défaut de les faire fuir. Elle m’en avait imprégné en se frottant contre moi, lorsqu’elle m’avait embrassé, ce qui m’avait probablement sauvé la vie. Puis, elle avait simplement supposé que les xenops réagiraient comme ils l’avaient fait – et comme j’aurais également fait à leur place – ce qui déclencherait l’effondrement des falaises avoisinantes.
Sa tunique, comme toutes celles que portaient les membres de leur tribu, disposait de cette sécurité permettant de surnager dans le sable quand une immense dune s’effondrait, ou qu’ils étaient submergés par une tempête. Elle m’avait fait la démonstration de l’efficacité du système…
Je restais silencieux un long moment, admiratif devant l’audace et la détermination de la jeune femme qui avait mené les soldats xenops à leur perte, les laissant eux-même se faire les bourreaux de leur propre mort.

***

Nous parvînmes au campement au milieu de la nuit, à bout de forces. Michelle avait tenté de m’expliquer comment marcher de manière à ne pas m’enfoncer dans le sable, et même si j’avais accompli quelques progrès le résultat était loin d’être concluant.
Nous fûmes accueillis par une sentinelle un peu avant le village, qui nous indiqua qu’ils étaient parvenus à maîtriser les derniers xenops restants. Malgré leur endurance hors du commun, ces soldats d’élite n’avait pas pu supporter une température de cinquante degrés sans la moindre trace d’ombre pendant plusieurs heures. Les marches dans le désert étaient éprouvantes mais supportables car nous étions régulièrement à l’ombre des immenses dunes. Dans le village débarrassé de ses parasols, et dont les maisons avaient été dépouillées de leur toit, le soleil avait tapé de toutes ses forces, interminablement. Les xenops avaient atteint leurs limites physiques, et quand les nomades étaient passés à l’action ils avaient été submergés. Non sans faire cinq morts supplémentaires, malgré tout…
Doyle était allongé à l’ombre, victime d’une méchante insolation : il avait moins bien supporté la fournaise que les xenops, et s’était effondré avant l’assaut des nomades. Ça lui avait d’ailleurs peut être évité de prendre un tir de plasma…
Nous nous reposâmes quelques courtes heures, sur les recommandations de Michelle, et prîmes finalement la route de Tarkoïns sous bonne escorte, histoire de nous éloigner du campement. Les nomades nous avaient prêté du matériel, et l’environnement de Dantoïne nous apparaissait nettement plus supportable, vêtus de leurs tuniques et de leurs conseils. Michelle pensait que les patrouilles auraient énormément de mal à suivre leurs traces dans le désert, et nous avions au bout du deuxième jour de marche quitté la zone contrôlée par les xenops. Ces derniers seraient beaucoup plus hésitants à s’aventurer sur le territoire de la Confédération : même s’ils prenaient le dessus à l’échelle de la planète, les Confédérés étaient encore en mesure de leur flanquer de vilaines raclées sur des offensives préparées trop hâtivement.

***

Nous atteignîmes le périmètre de sécurité de la cité au bout du cinquième jour de marche. Les nomades convinrent entre eux d’un point de rendez-vous, pour rejoindre un autre campement, et nous abandonnèrent à tour de rôle, en émouvantes effusions. Michelle fut la seule à nous accompagner sur les derniers kilomètres, et je ne pus m’empêcher de la serrer dans mes bras au moment de son départ.

– Merci encore pour tout.

Elle me regarda tendrement, un petit sourire au coin des lèvres. Ses mains glissèrent le long de mon dos, jusqu’à ma taille.

– Ne vous en faîtes pas, Dantoïne veille sur nous.

Mû par l’émotion des adieux, je posai mes lèvres sur les siennes m’attendant à la sentir se retirer brusquement, mais elle ne bougea pas. Nous restâmes un long moment enlacés, partageant ce baiser avec une intensité violente, refoulée depuis plusieurs jours. Lorsqu’elle se retira enfin de mon étreinte, elle me prit le visage entre ses mains calleuses pour me regarder une dernière fois.

– Restez en dehors des zones d’ombre, Mc Eily.

Puis, après un bref adieu à Doyle, elle fit demi-tour et s’éloigna, de son pas leste et furtif. Nous suivîmes la fine silhouette des yeux un moment, avant qu’elle ne disparaisse entre les dunes, tel un mirage évanescent dispersé par l’intensité du soleil.

– Allez Mc Eily. Il faut bouger, je n’ai jamais eu autant besoin d’un bain de toute ma vie…

Je vérifiai la présence du calibrateur magnétique à ma ceinture, la jeune femme me l‘ayant rendu, avant de me remettre en marche.

– Tu sais Doyle, j’ai appris une chose durant cette semaine: nous pouvons nous entretuer autant que nous le voulons avec les xenops au travers de cette guerre insensée, il y aura toujours des forces qui nous échapperont.
– Je vois ce que tu veux dire : Dantoïne a bien plus à offrir que du sable et du soleil, pour ceux qui sont prêts à écouter son âme.
– C’est exactement ça, Doyle, tout est dans le respect. C’est une leçon que je n’oublierai pas et… Merde ! Attends, j’ai encore du putain de sable dans mes bottes !

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